Quel cadre juridique pour les mesures contraignantes de lutte contre le Covid-19 au Maroc ?
ACTUALITE JURIDIQUE
Quel cadre juridique pour les mesures contraignantes de lutte contre le Covid-19 au Maroc |

Adel EL MOUDEN
Juriste Senior
Suite à la publication, le 24 Mars 2020, du Décret-loi n° 2-20-292 portant dispositions spécifiques relatives à ‘’l’état d’urgence sanitaire’’ et aux procédures de sa déclaration, la question du cadre juridique des mesures prises pour la lutte contre le virus COVID-19 commence à émerger dans un débat public dominé, jusqu’à présent, par l’urgence particulière de la prise des dispositions permettant de contrecarrer la pandémie.
‘’L’état d’urgence sanitaire’’, déclaré au Maroc, dans un premier temps, par un simple communiqué du Ministère de l’Intérieur avant l’entrée en vigueur du Décret-loi susvisé, cesse d’être une mesure de fait prise par les Autorités Publiques dans un cadre d’urgence extrême, pour devenir une réalité juridique issue d’un texte législatif produit en application de la faculté attribuée au Gouvernement pour intervenir dans le domaine législatif entre les deux sessions du Parlement conformément à l’article 81 de la Constitution marocaine de 2011.
La voie empruntée par le Maroc est similaire à celle adoptée en France; l’objectif étant de permettre à l’Autorité Publique de prendre les mesures nécessaires contre la propagation d’un virus dangereux tel que le COVID-19, les deux Gouvernements ont pris l’initiative de présenter un projet de Décret-loi (les deux textes ont d’ailleurs été publiés le même jour) fixant les conditions de la déclaration d’une nouvelle situation juridique appelée ‘’l’état d’urgence sanitaire’’ laquelle, dans les deux pays, ne faisait l’objet d’aucun texte législatif ou réglementaire avant le 24 mars 2020.
En effet, de point de vue juridique, l’objectif de cette intervention législative urgente et exceptionnelle, est de permettre la prise des mesures de Police Administrative qui pourront donner lieu à des dispositions restrictives de libertés (Confinement obligatoire, interdiction de circulation, interdiction de l’exercice des activités commerciales, interdiction de rassemblement etc…), à des sanctions pour contraindre les citoyens à respecter lesdites mesures, ou voire même à la réquisition des biens privés (réquisition des masques ou de la chloroquine …).
Lesdites mesures de Police Administrative ne peuvent être entreprises que dans le cadre d’une Loi (texte législatif) qui en précise le contenu et les procédures conformément au principe fondamental de la Légalité.
Au Maroc, la Constitution marocaine prévoit des mécanismes constitutionnels qui permettent, de façon temporaire et exceptionnelle, de faire face aux situations de crise ou d’urgence durant lesquelles l’intervention efficace de l’exécutif ne doit pas être entravée par l’obligation de respecter certaines procédures, libertés ou droits. On se réfère ici à la déclaration de ‘’l’état d’exception’’ (art 59 de la Constitution marocaine) ou ‘’l’état de siège’’ (art 74 de la Constitution marocaine). Toutefois, les Autorités Publiques marocaines ont considéré que la crise de pandémie COVID-19 n’est pas de nature à justifier le recours à l’un des deux mécanismes constitutionnels précités. Le recours à ces deux cas de figure n’est, en effet, envisageable que dans les cas où le fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles du pays ou son intégrité territoriale se trouvent menacés (état d’exception) ou bien en cas de guerre (état de siège).
En France, dans son discours du lundi 16 Mars 2020, le Chef d’Etat français avait qualifié la crise sanitaire d’une situation de ‘’guerre’’– en répétant ce mot 6 fois-. Ceci constitue, à notre avis, dans la limite de ce que prévoient jusqu’ici la Constitution et les Lois en vigueur, une préparation de l’opinion publique à une éventuelle déclaration de ‘’l’état de siège’’. Celle-ci est prévue également par l’article 36 de la Constitution française de 1958. Ce dispositif a été, par la suite, écarté par l’adoption du Décret-loi sur l’état d’urgence sanitaire.
A titre de comparaison, le Gouvernement espagnol, et afin de cadrer légalement les mesures drastiques de Police Administrative prises dans le cadre de la lutte contre le virus COVID-19, a déclaré par le Décret Royal n°463/2020 ‘’l’état d’alarme’’ prévu, cette fois, par l’article 116.2 de la Constitution espagnole de 1978, et encadré par la Loi Organique 4/1981 régissant les états d’alarme, d’exception et de siège en Espagne.
En faisant appel à ‘’l’état d’alarme’’, le Gouvernement espagnol disposait du cadre juridique propice pour édicter les mesures de confinement, limitation de certains droits et libertés des citoyens espagnols et l’applications des sanctions contre ceux qui ne respectent pas les normes édictées par le Gouvernement. ‘’L’état d’alarme’’ permet même à l’Etat central espagnol d’intervenir dans des champs de compétences réservés aux Communautés Autonomes.
La question se pose de savoir si le Maroc ne disposait d’aucune assise légale permettant de prendre les mesures de Police Administrative pour la lutte contre l’expansion du virus COVID-19 avant l’adoption du Décret-loi relatif à la déclaration de l’état d’urgence sanitaire ?
En effet, le Maroc, un pays qui avait par le passé, souffert de nombreuses épidémies au long de son histoire, et qui possède une forte tradition de règlementation héritée du protectorat français, dispose depuis le début du vingtième siècle, d’un arsenal juridique important en matière de la protection de la santé et de l’hygiène publiques conférant aux autorités publiques des attributions importantes en matière de Police Administrative.
Le Maroc compte, depuis 1913, l’adoption de plus de 400 textes portant sur la Police Administrative dont une grande partie est consacrée à la protection de la santé publique (Dahir de 1915 relatif à la protection de la salubrité publique dans les villes…), à la lutte contre
les maladies et les endémies (les Lois de la Décentralisation depuis le Dahir de 1976 portant organisation des communes…), au nettoiement et désinfestation des villes (Dahir de 9 juillet 1938 relatif à l’assainissement des villes et des centres urbains…), aux sanctions à infliger en cas d’infraction aux normes édictées (dahir du 24 Décembre1958 relatif à l’avertissement taxé pour la répression de certaines infractions au règlements d’hygiène…) ainsi qu’à l’intervention pour le maintien de l’ordre public (Dahir de 1977 relatif au Gouverneur..) etc…
Cependant, et malgré l’importance en nombre et en contenu de cet arsenal juridique, ses textes se trouvent aujourd’hui disparates et dépassés, ce qui neutralise leurs apports dans le traitement de la situation d’urgence sanitaire actuelle.
Nous estimons que le développement de formes d’épidémies graves provenant de virus telles que le COVID-19, appelle à une actualisation et codification du corpus juridique afférent à la Police Administrative pour le traitement de situations imprévisibles d’urgence sanitaire auxquelles le pays pourrait faire face.
Nous vous rappelons également que la mesure la plus importante et la plus conséquente est de rester chez vous à la maison.
COMITIUM Consulting
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